LE DROIT A LA PAIX ET LA PROBLÉMATIQUE DE L'INTERDICTION DU RECOURS A LA FORCE DANS LE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS INTERNATIONAUX


Vingt ans après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, les Etats réunis à Téhéran, en 1968[1], ont fait une proclamation historique, en « reconnaissant que l’humanité entière aspire à la paix et que la paix et la justice sont indispensables à la pleine réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». La paix et la justice, deux sœurs jumelles, dirait-on, ont été ainsi présentées comme les colonnes d’un Etat dans lequel les droits de l’homme et les libertés fondamentales sont garantis. D’emblée, paix et justice sont devenues d’une importance primordiale car étant étroitement liées à la survie de l'humanité.
Mais le mouvement actuel de défense des droits humains s’est beaucoup plus préoccupé de la protection du droit à la justice[2], qui se déduit des garanties prévues par l’article 14 du Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966[3], en occultant l’importance pourtant très capitale du droit à la paix[4]. En effet, la déclaration des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 elle-même ne fait pas expressément mention du droit à la paix. Car, ne sont proclamés ouvertement que le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne, à la reconnaissance de la personnalité juridique, à la protection de la loi, à un recours effectif devant les juridictions, à un procès équitable, à la présomption d’innocence, à la protection de la vie privée, à la liberté d’aller et de venir, le droit d’asile, à la nationalité, au mariage, à la propriété, à la liberté de pensée, de conscience et de religion, à la liberté d’opinion et d’expression, à la liberté de réunion et d’association pacifique, de participer aux affaires publiques de son pays, à la sécurité sociale, au travail et à la protection contre le chômage, etc.
Cependant, le droit à la paix se déduit incidemment des dispositions de l’article 28 de la déclaration des droits de l’Homme : « Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet ». Certainement pour éviter toute divergence, la communauté internationale a préféré le concept « ordre » au double plan social et international à celui de paix, alors que de toute évidence l’esprit de l’article 28 précité fait état d’une situation sociale ou internationale marquée par l’harmonie, c’est-à-dire l’absence de troubles de nature à compromettre le respect des droits de l’Homme. Et l’on sait fort bien que dans la hiérarchie des troubles susceptibles de remettre en cause le respect des droits humains, les conflits armés occupent le haut du pavé, ce qui a d’ailleurs inspiré le célèbre juriste romain Cicéron de penser que « dans la guerre, les lois sont muettes ».
Cette hésitation quant à la proclamation solennelle du droit à la paix comme un droit parmi les droits de l’Homme traduit-elle une méconnaissance de ce qui permettrait aux hommes de vivre en toute quiétude sur terre ? Tout individu n’a-t-il pas droit à la paix ? Quelle est l’essence même du droit à la paix ?
Quoique non proclamé de façon expresse dans la charte internationale des droits de l’Homme[5], le droit à la paix est une survivance du droit naturel des peuples dont les origines remontent aux premières civilisations humaines. En effet, aux premières heures de notre histoire commune, les hommes recourent de moins en moins aux conflits pour régler leurs différends. Et même lorsque les progrès techniques ont permis aux hommes de se doter des armes de guerre pour commencer les hostilités, l’humanité n’a pas renoncé à la quête de cette harmonie constante. Ainsi, certains Etats ont choisi une neutralité permanente[6], pour garantir indéfiniment la protection du droit à la paix de leurs citoyens. D’autres ont, à cette époque, appliqué des systèmes de paix séquentielles, telles que la paix de Dieu ou la trêve de Dieu, ou encore préféré une neutralité temporelle. Et même, au cœur des hostilités, les hommes ont toujours entrepris de négocier par tous les moyens en vue du retour à l’ordre originel. L’article 33 de la Charte des Nations Unies énumère d’ailleurs les modes de règlement pacifiques des différends internationaux devant être privilégiés au recours à la force dans la conduite des relations internationales. Il en va de même de l’article 1er de la Convention pour le règlement des conflits internationaux, signée à la Haye le 18 octobre 1907[7].
Ces différentes approches de l’harmonie estimée convenir dans les rapports entre les hommes permettent de comprendre le caractère universel du droit à la paix. Le souverain pontife Jean XXIII, dans sa lettre encyclique du 11 avril 1963 mieux connue sous le nom de « pacem in terris », affirme que la paix sur terre est l’objet « du profond désir de l’humanité de tous les temps ». Ce qui paraît paradoxal, c’est que les Etats, considérés comme les sujets primaires de la société internationale, dans cette immense vague de traités multilatéraux consacrés à la protection des droits de l’Homme, ne se sont pas prononcés clairement sur ce qui devait être, pour l’ensemble de l’humanité, après le droit à la vie, l’un des droits les plus fondamentaux de la personne humaine.
Or, si ce droit est manifestement indispensable, il devient imparable d’en faire une étude approfondie et surtout, de chercher à le faire respecter. De toute évidence, la survie du genre humain en dépend. En vérité, il n’est aucun Etat au monde, à l’exception de ceux qui se réclament être eux-mêmes des « Etats voyous », n’entreprend tout ce qui est à son pouvoir pour préserver la paix tant au niveau national qu’international. A l’heure de l’énergie atomique, les nations du monde entier savent ce que seraient les conséquences sur la pérennité de la vie sur terre en cas d’une troisième guerre mondiale.
Poser le problème du droit à la paix paraît comme un défi, à la limite, insultant pour les Etats et gouvernements guerriers qui ne peuvent concevoir leur existence sans le recours à la force armée ; ces Etats et gouvernements qui ont fait fortune dans la fabrication et la livraison des armes et dans l’entretien des mercenaires.
En outre, il invite à la résurrection du débat historique sur l’interdiction du recours à la force armée dans le règlement des différends entre Etats[8], sur l’exhumation des thèses relatives à l’illicéité ou la licéité de l’emploi de la force et au désarmement effectif des Etats, bref sur la disparition des forces armées et de toutes les missions impliquées dans l’usage de la violence armée sans considération de mobile.
Pour limiter le champ d’intervention de la pensée par rapport à cette thématique, il sied de considérer exclusivement la question de la protection du droit à la paix par les Etats contemporains. Cette protection implique préalablement la reconnaissance du droit à la paix et la consécration des mécanismes de sanction des violations de ce droit.
Par Virgile Rivet SAMBA-MOUSSINGA
[1] Proclamation de Téhéran adoptée par la Conférence internationale des droits de l’Homme à Téhéran, le 13 mai 1968.
[2] Le droit à la justice peut s’entendre comme une prérogative qui inclut la reconnaissance de toutes les garanties de la personne humaines relativement à l’exercice d’une action en justice. Par rapport aux dispositions conventionnelles ou coutumières applicables, on peut citer entre autres le droit d’accès à la justice, le droit à un procès équitable, la présomption d’innocence, le droit à l’information judiciaire, etc. (cf. article 14 du Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques).
[3] L’article 14 du Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques dispose : « 1. Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Le huis clos peut être prononcé pendant la totalité ou une partie du procès soit dans l’intérêt de bonnes mœurs, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, soit lorsque l’intérêt de la vie privée des parties en cause l’exige, soit encore dans la mesure où le tribunal l’estimera absolument nécessaire lorsqu’en raison des circonstances particulières de l’affaire la publicité nuirait aux intérêts de la justice… ».
[4] Le droit à la paix, est une prérogative reconnue à la personne humaine de vivre dans un milieu pacifique, dans un cadre territorial dans lequel sa sécurité est garantie par l’absence de troubles prenant le caractère d’un conflit armé, ou de toute autre forme de désordre compromettant la vie. C’est le droit de vivre dans la quiétude, emportant nécessairement proscription des actes de violence armée.
[5] La charte internationale des droits de l’Homme comprend notamment la déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 et les Pactes des Nations Unis relatifs aux droits civils et politiques et aux droits socio-économiques et culturels du 16 décembre 1966.
[6] La neutralité, en droit international, est un statut légal d’un Etat qui pratique une politique de non-engagement pendant une guerre, de manière soit permanente, soit circonstancielle. Le choix du statut de neutre procède d’une décision unilatérale de l’Etat, et s’analyse comme découlant de sa souveraineté (Cf. Encyclopédie Encarta, version 2009).
[7] Aux termes de l’article 1er de cette convention : « En vue de prévenir autant que possible le recours à la force dans les rapports entre les Etats, les puissances contractantes conviennent d’employer tous leurs efforts pour assurer le règlement pacifique des différends internationaux ».
[8] En 1928, le Pacte Briand-Kellog signé par une soixante de pays interdisait formellement le recours à la force armée dans le règlement des différends internationaux.
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